Il est difficile de passer sous silence  la récente lettre encyclique du Pape, « FRATELLI TUTTI ».

Ce texte, que certains jugent utopique, que d’autres qualifient de gauchiste, est en réalité un événement, compte tenu de sa dimension politique dans un monde qui donne des signes de recul ; adressé au monde entier, il est porteur d’une pensée  dense, parfois pessimiste, pleurant sur ce monde avec lequel il cherche à dialoguer pour  l’exhorter à faire avancer la fraternité.

DÉMOCRATIE, JUSTICE, LIBERTÉ… DÉNATURÉES   

Le premier chapitre de cette lettre dresse un constat sans concession du monde d’aujourd’hui. Même si le « rêve d’une Europe unie a progressé », reconnaît-il, en étant « capable de reconnaître ses racines communes et de se féliciter de la diversité qui l’habite, » aujourd’hui … « des conflits anachroniques, s’enflamment, des  nationalismes étriqués, exacerbés, pleins de ressentiments  et agressifs réapparaissent. L’histoire est en train de donner des signes de recul », ajoute -t-il.

L’ouverture au monde n’est plus un projet d’unité, c’est vrai, mais, dit-il, « elle se rapporte, exclusivement à l’ouverture aux intérêts étrangers ou à la liberté des pouvoirs économiques d’investir, sans entraves ni complications dans tous les pays. Cette mondialisation des marchés », poursuit-il, « favorise en principe l’identité des plus forts qui se protègent mais tend à dissoudre les identités des régions plus fragiles et plus pauvres, en les rendant plus vulnérables et plus dépendantes ». On assiste ainsi, poursuit-il, à « une perte de l’histoire… où la liberté humaine… ne laisse subsister que la nécessité de consommer sans limites ». Même les mots comme « démocratie, liberté, justice, unité…» ont été dénaturés pour être utilisés comme des instruments de domination. Les dominés sont, en effet, souvent ridiculisés, les inégalités s’accroissent, les droits humains ne sont pas les mêmes pour tout le monde, les femmes n’ont pas la même dignité ni les mêmes droits… 

Une place importante est aussi consacrée  aux fantasmes de la communication. Paradoxalement, dit-il, alors que s’accroissent les attitudes de repli sur soi et d’intolérance qui nous amènent à nous fermer aux autres, les distances se raccourcissent ou disparaissent au point où le droit à la vie privée n’existe plus. Tout devient une sorte de spectacle qui peut être espionné, surveillé et la vie est soumise à un contrôle constant… La liberté devient une illusion qu’on nous vend…

ACCUEIL, ÉCOUTE, SOLIDARITÉ, CITOYENNETÉ

Dans ce chapitre, le Pape François développe la notion de solidarité qui s’accorde avec l’universel.

Il dit ainsi : « Il faut développer cette conscience qu’aujourd’hui,  ou bien nous nous sauvons tous, ou bien personne ne se sauve. » et poursuit « qu’il est nécessaire  de s’engager à établir, dans nos sociétés, le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorité qui porte en lui les germes du sentiment d’isolement et d’infériorité ».

« Les nationalismes  fondés sur les replis sur soi traduisent, en définitive, cette incapacité de gratuité, l’erreur de croire qu’on ne peut se développer à côté de la ruine des autres et qu’en se fermant aux autres, on est mieux protégé. Seule une culture SOCIALE et POLITIQUE qui prend en compte l’accueil gratuit pourra avoir de l’avenir. »

POPULISME ET DÉRÉGULATION LIBÉRALE

Ce chapitre aborde essentiellement la question politique, à travers ces  deux options idéologiques (populisme et dérégulation) qu’il dit ne viser que des intérêts. Ainsi, dit-il, « le mépris des faibles peut se cacher sous des formes populistes qui les utilisent, de façon démagogique, à leurs fins ou sous des formes libérales, au service des intérêts économiques des puissants. »… « Le grand objectif devrait toujours être de leur permettre d’avoir une vie digne par le travail. »…

Le marché, à lui seul, ne résout pas tout, même si, une fois encore, l’on veut nous faire croire à ce dogme de foi néolibéral… Il s’agit là, pour ceux qui en sont les chantres, d’une PENSÉE PAUVRE, répétitive qui propose toujours les mêmes recettes, face à tous les défis qui se présentent.

DIALOGUE, FRATERNITÉ

Le pape n’a pas de solution politique à proposer explicitement. Concrètement, il suggère d’être attentif aux mouvements populaires, comme aux initiatives locales, dans un esprit de fraternité et conscience citoyenne. « Les poètes sociaux, » dit-il, « sont ceux qui travaillent, qui proposent, qui libèrent à leur manière ».

II appelle aussi au dialogue qui, dit-il, « n’est pas un simple consensus de circonstance mais un échange qui a besoin d’être éclairé et enrichi  par des justifications, des perspectives différentes, par des apports provenant de différents savoirs et points de vue, un dialogue qui n’exclut pas la conviction qu’il est possible de parvenir à certaines vérités élémentaires qui doivent ou devraient être toujours soutenues. »

Ce pape fait preuve, dans cette communication, d’une réelle lucidité sur notre monde. C’est, de mon point de vue, un texte  résolument politique clairvoyant parce qu’être politique n’est pas nécessairement se montrer politicien.

Mais, en France, les détracteurs du texte ne surprennent pas, comme l’essayiste Éric Zemmour, le journal Causeur ou le site Atlantico qui étouffent de rage et de mépris. Ce sont les mêmes qui, avec d’autres, ont à d’autres moments qui leur convenaient, en appelaient à l’infaillibilité pontificale !

Dialogue, Fraternité, Justice : un rêve, une utopie ?

Beaucoup d’utopies sont devenues des réalités…

Louis Caul-Futy